Les acides gras saturés sont-ils vraiment mauvais pour le cœur ?
La question des graisses - et qui plus est des graisses saturées - et de la santé cardiovasculaire anime la recherche biomédicale, et plus précisément la recherche en nutrition depuis des décennies. Et les réponses que nous pouvons apporter avec les preuves disponibles sont mitigées.
Nous ne savons plus comment manger. Les sciences nutritionnelles ont très mauvaise presse. Un jour tel aliment est bon pour la santé, le lendemain on nous dit le contraire. Nous sommes perdus. Concernant les graisses saturées et la santé cardiovasculaire, c'est un peu la même chose. Est-ce la faute à la science qui se contredit sans cesse ? Ou aux articles de presse qui cernent et retranscrivent mal le problème en question ? Un peu des deux ? C'est ce que nous allons essayer de voir dans cet article.
Oublier le « bon » ou « mauvais » pour la santé
La première chose qu'il faut avoir en tête est celle-ci : il nous faut collectivement faire le deuil de l'usage simplificateur à outrance, qu'il en devient littéralement faux, des formules anachroniques telles que « X est bon (ou mauvais) pour la santé ». Ce type de phrase n'a aucun sens. Lorsque l'on dit cela, on ne sait généralement pas à quoi se réfère « bon (ou mauvais) » ni à quoi se réfère « santé ». C'est un fourre-tout où l'on classe de manière abusive les aliments ou les régimes alimentaires. Aucun aliment (ou régime) n'est, en soi, bon ou mauvais. Ces derniers influencent certains paramètres physiologiques, qui conduisent à certaines conséquences métaboliques. Ces paramètres et ces conséquences déterminent en partie la survenue d'évènements que l'on souhaiterait éviter comme les accidents cardiovasculaires.
Nous le voyons donc, les termes bon et mauvais renvoient à des conséquences sur des facteurs de risque (ou directement sur les évènements), et santé à des évènements qui impactent négativement l'intégrité des individus concernés. Mais encore faut-il dire par rapport à quoi et pour qui un aliment (ou un régime) est bon ou mauvais. Pour cela, il faut posséder beaucoup de données, comparant plusieurs types d'alimentation, chez des populations différentes. Prenons donc l'exemple des graisses saturées, c'est le sujet qui nous occupe.
Pourquoi dire que les acides gras saturés sont mauvais pour le cœur est inexact ?
Tentons d'abord de comprendre ce qu'il se cache derrière cette formule. Les graisses saturées participeraient de l'augmentation du taux de lipoprotéines de faible densité (mieux connues sous le nom de LDL cholestérol) qui est considéré, d'un point de vue physiopathologique - et ce point fait consensus - comme un facteur causal des maladies cardiovasculaires. Elles augmenteraient également les évènements cardiovasculaires. L'affirmation est donc la suivante : les acides gras saturés augmentent les évènements cardiovasculaires et également le taux sanguin d'un facteur de risque (le LDL cholestérol) de ces maladies. Pourtant, plusieurs problèmes se posent devant une telle affirmation.
Premièrement, les acides gras saturés (AGS) forment une grande famille de molécules. Si ces dernières ont toutes la même structure en matière de liaison chimique, elles diffèrent sur des paramètres comme la longueur de la chaîne carbonée. Deuxièmement, les données d'observation et d'intervention donnent des résultats mitigés selon la quantité de graisses consommée et de ce par quoi on remplace les acides gras saturés. Troisièmement, nous mangeons des aliments complexes et non des nutriments isolés. Dès lors, l'effet de la matrice alimentaire vient quelque peu mitiger cette conclusion péremptoire. Quatrièmement, des questions se posent autour de la pertinence clinique concernant le LDL comme cible thérapeutique. Cinquièmement, les AGS n'influenceraient massivement qu'une sous-classe des LDL moins problématique concernant le risque cardiovasculaire. Mais d'un autre côté, l'ensemble des recommandations nutritionnelles sont unanimes sur la nécessité de réduire la part des acides gras saturés dans la balance énergétique en dessous d'un certain seuil.
Un débat inextricable ?
Il n'existe pas de consensus fort sur la question du rôle de la réduction des AGS dans la survenue d'évènements cardiovasculaires. Il y a moins d'un an, dans la revue The American Journal of Nutrition, sont parus plusieurs articles (trois : 1, 2 et 3) visant à illustrer le débat qui anime la communauté scientifique en nutrition sur le sujet. Loin de faire dans la caricature du pour et du contre, ces articles se concentrent sur les points d'accord et de désaccord et les recherches à fournir pour faire progresser le débat vers une conclusion plus unanime.
Les points d'accord
Plusieurs points d'accord entre les deux positions sont à noter. Premièrement, personne ne nie le fait que les recommandations alimentaires prodiguent une quantité seuil maximale d'acides gras saturés à ne pas dépasser. Deuxièmement, il fait aussi consensus que la globalité du régime alimentaire est plus importante que la consommation d'un sous-nutriment précis sur le risque de maladie cardiovasculaire. Troisièmement, les conseils pour réduire les AGS peuvent avoir des conséquences inattendues, selon par quoi ils sont substitués. À ce propos, un récent article publié dans Advances in Nutrition suggère qu'ils seraient l'alternative la plus saine d'un point de vue strictement mécaniste en comparaison aux autres graisses. Quatrièmement, il est largement recommandé de baisser sa consommation d'AGS pour agir sur son taux de LDL. Néanmoins, la baisse de la consommation entraîne des baisses très hétérogènes chez les individus. Cinquièmement, les AGS ont d'autres effets biologiques, potentiellement protecteurs. Enfin, le rôle de la matrice alimentaire qui a longtemps été négligé, est important car elle affecte la réponse des LDL après une consommation d'aliments riches en AGS.
Les points de désaccord
Mais comme nous l'évoquions, il n'y a pas de consensus fort sur la question. Dès lors, des points de désaccord au sein de la communauté des chercheurs en nutrition sont à mentionner. Premièrement, le fait qu'une moindre consommation d'AGS se traduit par une baisse des évènements cardiovasculaires dans la population. Il y a des débats concernant la qualité des preuves épidémiologiques et la question reste en suspens pour savoir si une telle baisse de consommation est vraiment utile en population générale ou seulement pour des sous-groupes précis. Deuxièmement, la taille d'effet de la réduction du LDL cholestérol par la moindre consommation d'AGS. Ici, également, c'est un débat qui mobilise la qualité des données épidémiologiques sur la question. Troisièmement, le fait que les acides gras saturés pourraient affecter de manière importante d'autres facteurs au niveau de l'organisme qui moduleraient le risque cardiovasculaire. Quatrièmement et pour finir, le désaccord est net entre ceux qui pensent que les preuves actuelles sont suffisantes pour justifier la définition d'un seuil d'ingestion journalier maximum des AGS et ceux qui pensent le contraire ou suggèrent de plus amples recherches.
Les recherches nécessaires pour trancher
Ce qui est appréciable dans le débat scientifique, c'est que - dans l'idéal - les deux camps qui s'affrontent ne s'opposent pas vraiment. Ils sont mus par la recherche de la « vérité ». Dès lors, les chercheurs qui publient ces articles et incarnent les positions de chaque partie de la communauté scientifique en nutrition concluent à des recherches ultérieures à mener afin de départager les points cruciaux. Grâce à la discussion féconde d'arguments interposés, voilà les recherches dont nous avons besoin :
déterminer les effets cardiométaboliques de la consommation d'AGS en interaction avec d'autres facteurs nutritionnels comme la quantité de glucides consommés ;
évaluer les différences ethniques dans la réponse des LDL aux variations de consommation d'AGS ;
examinez les relations à long terme entre les différents régimes alimentaires « sains », leur quantité d'AGS et les résultats en matière de morbidité et de mortalité, tout en tenant compte des impacts sur le taux de LDL et d'autres facteurs de risque ;
identifier les mesures de laboratoire ou les études d'imagerie pouvant fournir des résultats plus fiables concernant la prédiction des évènements cardiovasculaires afin de minimiser la nécessité d'études sur le long terme ;
déterminer une relation dose-réponse entre les AGS et les facteurs de risques cardiométaboliques dans différentes conditions (régime isocalorique, suralimentation, etc.) ;
identifier les facteurs génomiques et épigénomiques, ainsi que les variations du microbiome, qui peuvent contribuer à la variation inter-individuelle des effets des AGS sur les facteurs de risque cardiométaboliques ;
enquêter de façon plus large sur la consommation d'AGS et d'aliments riches en AGS sur des paramètres comme l'insuline, la glycémie, les marqueurs de l'inflammation et les maladies chroniques.
Un doute fabriqué ?
Avant de se quitter, il faut préciser un élément de contexte. Les deux chercheurs qui s'affrontent dans ces articles ne sont pas dénués de liens d'intérêt. Bien sûr, cet argument ne suffit pas à discréditer leurs positions respectives et à les accuser de malhonnêteté intellectuelle. Néanmoins, il appelle à rester vigilant. On sait que l'industrie peut avoir un impact sur les résultats de recherche. Dès lors, on constate que la personne qui soutient la position du « non » concernant la réduction des AGS, a reçu des financements de l'industrie laitière pour ses recherches. D'un autre côté, la personne qui soutient la position du « oui » sur la même question, a reçu des financements des producteurs américains de pistaches, d'avocats, de noix de pécan et de cacahuètes. Elle est également membre des conseils consultatifs scientifiques des producteurs d'avocats et des producteurs des fruits de mer. Il est curieux que ces deux auteurs soutiennent des positions « en accord » avec les familles d'acides gras que l'on retrouve dans les aliments que produisent les industries respectives qui ont financé certaines de leurs recherches.
la source: Futura-Sciences
Publié: Julien Hernandez